L’être humain est une créature étonnante. Quelques soient les éléments qui se liguent contre eux, ils n’abandonnent jamais, et recommencent encore et encore ce qu’ils ont commencé. C’est cette ténacité, cette volonté inaltérable ancrée au plus profond de leur ADN même qui a finalement fait d’eux le sommet de la chaîne alimentaire.
Cela seulement ? Peut être pas, plus que la loi du plus fort proposée par la théorie de l’évolution de Darwin, c’est également sa formidable capacité d’adaptation qui lui faut la place qu’il a sur Terre.

Et dans les limbes ?
Ici, la question ne se posait pas, base et sommet à la fois de la chaine alimentaires, les âmes qui avaient été des humains étaient les seules résidentes encore « vivante » de cet étrange monde. Quand aux plantes, pouvait-on vraiment leur donner le même nom que les plantes qu’ils avaient tous vu sur Terre ?

C’est d’ailleurs dans cette étrange végétation, qui semblait croitre uniquement grâce à la lumière de la lune, lorsque celle-ci s’élevait au dessus de l’horizon, illuminant le monde, et la voute sombre de son éclat d’argent, qu’une silhouette errait. Errait ? En réalité, sa démarche ressemblait plus à celle qu’une personne marchant tranquillement dans une rue, mais personne n’aurait eu la folie de se promener aussi nonchalamment dans la foret des Murmures.
Mais cette jeune fille n’était pas personne, son souffle calme et régulier, ses pas discrets et souples d’habituée l’affirmaient avec bien plus de force que n’aurait pu le faire son nom dans des lieux aussi déserts.


Ce qu’une jolie jeune fille comme sa peau pâle contrastant avec ses vêtements, et ses mèches sombres et soyeuses, encadrant un visage aux traits fins mais volontaires pouvaient en témoigner, faisait dans de tels lieux ? Si une autre personne qui était également venue se perdre dans cette forêt, et qui aurait eu le courage de lui poser la question, elle aurait sans doute formuler pour seule réponse un sourire narquois, cependant porteur d’une pointe d’agacement. Elle n’avait pas de réponse sur ce qu’elle faisait là, elle aimait simplement les lieux reculés, calme, emplis de cette étrange solitude, mais surtout, de ces enivrantes ténèbres qui étaient devenues au fils des jours et des semaines ses sœurs, faisant d’elle leur Reine.


Continuant d’avancer entre les ombres noueuses des arbres qui se détacheraient sur le gris monochrome du ciel, la jeune femme laissa échapper un profond soupire, qui résonna sur les piliers vivant, dans un échos infini, s’élevant jusque dans les plus hautes branches, qu’un vent pleins de chants étranges et mystérieux balançaient, ajoutant à sa mélodie cette nouvelle expiration.

Se perdre, elle ne désirait rien d’autre que cette paix éphémère et silencieuse qui venait l’habiter lorsqu’elle se perdait dans les ombres, anesthésiant une poignée de seconde durant les souvenirs trop douloureux qui la hantait depuis… longtemps. Très longtemps. Trop longtemps.

Elle ne désirait qu’une seule chose, l’oublie pour qu’enfin, elle puisse respirer sans chercher dans l’air funèbre des limbes, son parfum de vivant. Pour ne pas chercher à chaque seconde, sa silhouette blonde, et son sourire lumineux.
Pour oublier qu’il avait le droit de vivre encore, et qu’il était sûrement bien plus heureux maintenant qu’elle n’était plus.
Pour oublier combien ça fait mal d’aimer.

Si il est un ennemi à tout être humain, et même à tout être vivant ayant un jour évolué à la surface de la planète bleu qui offre la vie, c’est bien le Temps. Implacable faux d’Hadès, la plus fidèle et la plus impitoyable de ses servantes, elle est aveugle et sourde aux mots et aux signes de notre monde, précipitant chacun dans les ombres à son heure, sans faire fit de la moindre des distinctions qui séparait pourtant les hommes durant toute leur vie malgré leur soi-disant égalité. Ces créatures de chaires ne sont d’ailleurs pas plus libres qu’égales : elles n’ont qu’un seul choix, qu’un seul chemin, celui qui mène à la poussière dont elles sont issues.

Et pourtant, aussi étrange que cela puisse paraitre, la mort ne débarrassait pas les âmes peuplant les contrés monochromes des Limbes de l’échéance temporelle à laquelle nul ne pouvait plus qu’auparavant échapper. Si elles devenaient invulnérables à bien des choses, les grains d’existence qui s’écoulaient chaque seconde d’un immense sablier invisible abaissaient progressivement sur chacun son épée de Damoclès.

Une différence cependant existait dans ces deux mondes ; si sur la Terre le génie humain avait réussit à mesurer le temps, rien dans l’étrange purgatoire où ils étaient tous prisonnier ne le permettait ; ainsi leur temps passait sans qu’ils aient la possibilité de le mesurer, accentuant ainsi d’autant plus les différences dans le ressenti du temps.


C’est ainsi que perdu dans ses souvenirs douloureux et lumineux, chassant l’odeur presque imperceptible de la foret pour la remplacer par ce parfum tant aimé, et les chuchotements des arbres, par sa voix dont les moindres ondulations étaient gravé au plus profond de sa mémoire, les quelques demi-douzaines de minutes que la silhouette bicolore avait passé à errer sans prêter attention où elle se dirigeait entre les colonnes de bois, aurait pu être des heures qui passaient, enfonçant à chaque instant un nouveau poignard dans son cœur afin de le cisailler lentement.

Noyée dans le flot de souvenirs doux amer, Blanche n’entendit pas les branches craquer derrière elle, ni les bruits de courses sur le tapis de feuilles sèches.
Une masse rousse se jetant sur elle, et le choc brutal de ses épaules contre la terre noire et dure, la fit revenir à la réalité.

Sans même prendre le temps d’analyser plus longtemps la démone à la chevelure écarlate qui s’était jeté sur elle, une arme de bois dans ses mains noueuses, la jeune femme poussa son assaillante sur le coté de toute la force que lui procurait l’adrénaline de l’action. Roulant sur le côté opposé, retenant un gémissement quand un morceau de racine trop curieuse s’enfonça dans entre ses cotes, elle se releva rapidement pour faire face à l’attaquante.
Les iris d’un brun sombre de blanche la détaillèrent avec une vitesse qui laissait deviner l’habitude d’une réflexion rapide. Si elle avait été tout sa vie durant emprisonné dans un fauteuil roulant, son esprit quand à lui avait apprit à s’affranchir. Certains s’entrainait à courir plus rapidement, ou à sauter plus haut, elle s’était entrainé à avoir une intelligence plus vive.

Un corps maigre et pâle, qui tremblait de frissons spasmodique et déments, remontant vers les iris émeraude de la jeune femme, son regard ne pu s’empêcher de s’arrêter sur les perles d’or qui tachaient le poignard de bois. Instinctivement, la française porta ses doigts à sa pommette droite, où elle sentit sous ses doigts l’ichor qui coulait dans ses veines.
Elle plia les jambes, et recula d’un bond, essayant de mettre de la distance entre elle, et la rouquine, essayant de deviner ce qu’elle allait faire, car elle le sentait au fond d’elle même, ce qui l’avait sauvé pour le moment, c’était d’avoir réussit à la surprendre en répondant à son attaque, mais elle ne s’arrêterait pas là.
Le combat ne faisait que commencer.

Le regard mordoré de Blanche, et celui émeraude de la rouquine se croisèrent brièvement lorsque cette dernière se redressa pour remettre sa chevelure flamboyante en arrière, avant qu’elle ne s’enfuie à travers les arbres.

Pendant une poignée de seconde, la jeune française à la peau aussi pâle que la lune se détendit. Tous ses muscles se relâchèrent, et sa respiration qu’elle avait instinctivement retenue durant le bref face à face qui lui avait parut paradoxalement durer des heures, s’échappa enfin de ses lèvres en un soupir de soulagement.

Blanche n’était pas quelqu’un de peureux, d’ailleurs, ce qualificatif s’appliquait difficilement à une personne qui passait comme elle la majeur partie de son temps dans le dernier cercles où les ombres et les ténèbres régnaient en maitre absolu sur toutes les âmes qui venaient s’y égarer. Et pourtant… il y avait quelque chose dans la violence et la soudaineté de l’attaque de l’inconnu qui la hérissait, et qui la tendait instinctivement.


Presque aussi brusquement que la mystérieuse jeune femme était apparut, le souvenir de son regard revint en mémoire à la brune. Ses iris verts et brillants, pleins de folie et de démence.
S’était-elle vraiment enfuie ?


Cette question émergea dans sa conscience, et tout aussi instinctivement, ses muscles se tendirent à nouveau. Ses jambes se fléchirent légèrement, prêtes à bondir à la moindre chose suspecte, tandis que ses bras s’écartaient légèrement, prêts eux aussi à saisir la première chose qui venait à leur porter.
Le combat n’était pas terminé.


Avec toutes les ombres qui entouraient la forêt grise, les détails devenaient très difficiles à discerner nettement, si bien que la jeune femme n’était pas même certaine de pouvoir clairement voir une couleur aussi vive que celle de la chevelure de son assaillante avant que cette dernière ne soit sur elle.
Blanche hésita à fermer les yeux, afin de pouvoir se concentrer uniquement sur les sons de la forêt qui l’entouraient. Pas, ou peu d’animaux habitaient ces lieux, et le vent préférait semer ses murmures dans les hautes branches pour qu’ils se dispersent en tombant, ce qui la laissait conclure que le moindre craquement qu’elle entendait venait de la rouquine, ou d’elle même.
Cela aurait sans doute été la meilleur solution, et pourtant, Blanche ne pouvait abandonner un reflexe aussi humain que de respirer, celui de se fier de manière bien trop importante au sens qu’ on lui avait apprit à considérer comme principal, à savoir la vue.


Et comme pour montrer une nouvelle fois à l’homme qu’il fait trop confiance à sa vision, ce fut son ouïe qui la prévint une nouvelle fois d’une attaque imminente. Un rire. Le sien. Blanche le sut avant même de sentir la poigne de la rousse sur son avant bras, car les notes de cette étrange hilarité exprimaient les mêmes nuances de folies et de démence qu’elle avait lu dans ses yeux un peu plus tôt.

La française sentit les ongles de son assaillante s’enfoncer dans son bras. Grimaçant de douleur, elle essaya de protéger son visage avec son autre bras, malgré les perles d’Ichor doré qui tachaient à présent ses vêtements. Une large estafilade sur le bras de la par de son adversaire lui donna l’occasion de lui attraper le poignet, qu’elle sera de toutes ses forces, dans l’espoir de limiter le plus possible ses mouvements et la dangerosité de son arme de bois. Profitant de cette prise, et du fait qu’elle avait été entrainé par l’attaque de la démente contre un arbre, elle l’attira à elle, et lui donna un coup de genoux dans l’estomac le plus fort qu’elle pu, pleine d’un mélange de colère, de détermination et de désespoir, avant de s’attaquer avec ses pieds aux tibias de la jeune femme.

Blanche ne savait pas quoi faire. Elle savait qu’il y avait des fous dans les limbes, beaucoup le devenait, mais elle n’en avait jamais rencontré d’aussi violent…
Que les ténèbres lui viennent en aide, car c’était ici leur bénédiction et leur malédiction.
Aucune d’elles ne pouvaient mourir.